TÉMOIGNAGES

Des hébergeurs, des accompagnateurs, des personnes accompagnées, des bénévoles lors des cantines solidaires témoignent et vous font partager leurs expériences.

Accompagnement

Témoignage de Jacqueline

Notre expérience d’accueil et d’accompagnement de Mohamed, un demandeur d’asile afghan, fut unique et plein de défis intéressants. A son arrivée, il ne parlait ni français ni anglais alors google translate et la langue des signes ont dû suffire pour l’aider à faire les premières démarches. L’OFII (l’Office Française d’Immigration et d’Intégration) et la SPADA (Point d’accès des demandeurs d’asile) ont fourni la traduction pashto-français pour les formalités.

Dès les premiers jours, il était évident qu’il souffrait beaucoup de douleurs dentaires.
Promo-Soins à Draguignan et leur dentiste bénévole furent la seule solution, car l’assurance médicale ne commence pas avant 90 jours de présence en France.

Mohamed est arrivé à Salernes au début du mois de décembre, avec seulement un petit sac à dos, il lui manquait donc des vêtements adaptés à l’hiver. Heureusement, son hébergeuse et notre association ont pu lui fournir le nécessaire.

Nous avons vite constaté qu’il était très observateur et doté d’une bonne mémoire visuelle (par ex., il a tout de suite maîtrisé le tri de déchets à recycler).

Dans le Haut Var, faute de transport public, les déplacements sont assez limités. Comme tous les migrants chez nous, il s’est donc mis au vélo.

En tant qu’accompagnateur, il faut être patient, puisqu’au-delà des difficultés de communication, les différences culturelles peuvent nous induire en erreur. Par exemple, au début Mohamed n’avait aucune idée de l’importance du respect des heures de rendez-vous.

Il fut vraiment bien accueilli par Solidarité Populaire mais il a dû comprendre que le travail à la cuisine n’est pas réservé aux femmes et qu’il fallait s’y mettre.

Afin de bien accompagner un demandeur d’asile, nous devons vérifier son suivi administratif régulièrement tout en le guidant dans l’apprentissage des systèmes français, afin qu’il puisse un jour être autonome. Les cours de français individuels et en groupe sont essentiels. Les événements culturels et les visites locales favorisent les échanges détendus.

Nous avons appris beaucoup en cours de route : combien cette expérience en immersion totale fut épuisante pour Mohamed, combien parfois il était découragé et comment reconnaître quand les problèmes étaient sérieux. Il a fallu aussi apprendre à le soutenir afin que son énergie revienne.
Heureusement, nous étions une équipe de plusieurs qui avons partagé le travail.

Nos différents points de vue et expériences de vie ont contribué à avoir de bons résultats. Nous avons aidé Mohamed à trouver ses repères locaux dans différents domaines, comme le sport ou la pratique de sa religion. Maintenant que Mohamed a obtenu la protection de l’état avec permission de séjour, et un bon logement, il doit impérativement continuer à développer son français, apprendre un métier et faire face aux difficultés du marché du travail. Ses besoins de soutien ont beaucoup diminué et son réseau s’est élargi.

Les accompagnateurs ont de bons souvenirs de cette expérience. Bien qu’il y ait beaucoup d’aspects de ce rôle que je n’ai pas décrits, j’espère que ceci vous donnera le goût d’explorer la possibilité de soutenir un(e) demandeur(se) d’asile si l’occasion se présente.

Cantine solidaire

Témoignage de Gen, août 2023

Depuis le début du covid, j’ai pris en charge l’organisation de la cantine solidaire de Vintimille, longtemps connue comme « La maraude », pour libérer Jay qui l’a organisé et était appelé vers d’autres activités.

Depuis, il y a eu bien des changements : nous avons dû trouver un nouveau local pour héberger nos activités et nos stocks de nourriture et de vêtements, certains sont partis, d’autres nous ont rejoints, sans que jamais ne faiblisse la motivation des bonnes volontés de Salernes et alentours pour que, tous les mois, nous puissions organiser de belles distributions.

Chacun y trouve sa place, selon ses compétences, disponibilités, envies.

En amont des jours de maraudes, mon travail consiste à organiser les collectes et tri de nourriture et de vêtements, à faire les courses en fonction du nombre de repas requis et à trouver les véhicules et les volontaires pour aller à Vintimille.

Le jour de la distribution, je coordonne les différentes tâches pour la préparation des repas et le chargement du camion. Il y a beaucoup à faire, mais les habitués, dont certains sont là depuis le tout début de cette aventure, sont d’une efficacité remarquable et ma baguette de chef d’orchestre peut faire quelques pauses sans que la musique ne s’arrête !

J’ai aussi à cœur de partager nos expériences, en envoyant régulièrement des lettres d’info, illustrées de photos de Vintimille pour que ceux qui restent sur place soient associés le plus possible à la distribution finale.

Chacun participe à la cantine selon ses possibilités :
– Les maraîchers et des commerçants nous donnent les légumes ; au printemps, un berger nous a offert une brebis à deux reprises !
– Certaines bénévoles apportent aussi quelques légumes quand ils viennent le samedi matin préparer la nourriture cuisinée par nos chefs cuisinières Liakout et Aïcha : épluchage, découpe et lavage des légumes, confection des sacs de nourriture donnés en complément du repas (pain, œufs, biscuits…). Il faut aussi préparer et charger le camion, parfois finir des trier les vêtements, etc…Une ombre place cependant sur l’avenir de la cantine solidaire, car nous n’avons pas de lieu pérenne pour nous accueillir. Déjà, nous avons dû déménager à plusieurs reprises. Actuellement, nous occupons un étage du château Escofier, l’eau et l’électricité étant fournies par la Solidarité populaire qui occupe l’étage inférieur, mais nul ne sait à terme ce qu’il adviendra de ce lieu. Nous demandons depuis des années à la mairie de Salernes de trouver un local décent assez vaste pour abriter notre activité. Des promesses nous sont faites régulièrement, sans concrétisation en vue à ce jour.

Pour finir, outre donc obtenir un vrai local, mon souhait le plus cher serait que de plus en plus de personnes rejoignent cette belle aventure humaine, et s’engagent avec nous dans l’action, pour refuser que la dignité d’hommes et de femmes, qui fuient la guerre et la misère, soit bafouée, en les laissant souffrir à nos portes de la faim et du froid dans la plus grande indifférence.

L’implication de tous, chacun à sa mesure, contribuera à donner à notre cantine solidaire une autonomie et une pérennité qui lui sont indispensables pour œuvrer ensemble à construire un monde meilleur.

Témoignage de Boris, juillet 2022

Nous étions les “livreurs” d’une distribution de repas de la Cantine Solidaire, cuisinés par 30 bénévoles, jusqu’à Vintimille.

80 migrants environ attendaient silencieux, en bord de rivière.

Je reviens complètement bouleversé et heureux d’avoir vécu cette soirée, par ces brèves rencontres.
Comment ne pas être traversé par la beauté, la dignité, l’humilité des personnes, de leur périple, de leur exil forcé…

Il faut peut-être partager cette expérience une fois au moins dans sa vie pour mesurer les réalités, appréhender autrement l’envergure du désastre, du détournement de ce monde que nous voulons “Autre”.

Comment “quelque chose… ” peut-il être encore inventé, tenté ?

Comment rendre du respect à ces personnes magnifiques, à ces vies renversées, malmenées, stoppées là, dans leur envol ?

Il y a une telle humanité, beauté, là-bas, et en même temps une telle monstruosité dans cette situation que le monde leur impose : pas d’eau, pas d’hébergement, pas de garantie de nourriture quotidienne, pas de soins.

Je suis sans mot pour te décrire chaque visage.

J’avais envie de partager cette aventure avec vous. Parce que c’est aujourd’hui, là, à Vintimille.

Témoignage de Liakout, août 2023

J’aime aider les gens qui souffrent. Ça me fait du bien.
J’ai été cuisinière 34 ans dans un hôtel, et ça me fait plaisir, maintenant que je suis à la retraite, de faire de la bonne cuisine pour la cantine solidaire. Je la fais avec mon cœur.

Et ça me fait plaisir aussi d’aller de temps en temps à Vintimille pour aider à la distribution et de rencontrer ces gens.

Témoignage d’Aïcha, août 2023

Je pense que c’est bien d’aider les autres. J’ai toujours travaillé, et avant de prendre ma retraite, je pensais déjà que je voulais aider ceux qui en ont besoin. Au début, quand j’ai pris ma retraite, je pensais être bénévole pour aider les personnes âgées, comme on le fait chez nous au Maroc. Et puis, quand j’ai entendu parler de la situation de ces gens à Vintimille, je me suis dit « Ces gens aussi ont besoin d’aide », et je m’y suis mise. J’ai été très heureuse de trouver cette opportunité de me rendre utile.

Maintenant, je fais la cuisine pour toutes les maraudes avec Liakout, et de temps en temps, je vais aussi faire la distribution à Vintimille. Chaque fois, ça me fait mal au cœur de voir ces jeunes gens perdus, qui ne parle même pas la langue, et je suis heureuse de les aider.

Hébergeur

Témoignage de José

Fin novembre 2020, place du marché de Salernes, rencontre avec un membre de Haut Var Solidarités (H.V.S.) qui accompagne un jeune homme d’une trentaine d’années, d’origine afghane.
La question immédiate pour cet homme est l’achat de vêtements de première nécessité… Il est là, très grand, maigre et le regard “vide“, osant à peine me regarder et ne comprenant aucun mot de français. Dans ce court entretien la question urgente est de l’aider à régulariser sa situation de migrant et de lui trouver un logement, HVS ne possédant pas de logement à cet effet.

Un mouvement de sensibilité gagne rapidement ma conscience et je propose 15 jours après de l’accueillir pour un temps indéterminé à mon domicile, disposant d’une chambre libre.

Commence alors pour moi des rencontres multiples avec les membres de H.V.S. Et pour lui une multitude de démarches de toutes sortes opérées par les membres plus aptes, de grande expérience, et bien évidemment les cours de français prodigués à mon domicile, ainsi que différentes visites d’informations importantes pour lui.

Au quotidien, en ce qui me concerne, se manifeste immédiatement une situation “particulière“ jamais connue sous cette forme et la nécessité de réponses et attitudes “fines“ à trouver!..

Pendant tous les échanges : sourires avant tout pour rassurer, parler lentement, gestes ciblés et parfois une main sur l’épaule pour rassurer ou sur ma poitrine pour lui exprimer ma compassion…

De culture différente, le sensibiliser sur sa participation au ménage, repas et hygiène corporelle.
L’inviter à la discrétion, voire au report de ses coutumes religieuses et s’abstenir devant des témoins non ouverts pour éviter toute blessure. Il m’a fallu l’amener à régler ses heures de coucher et de lever et respecter les heures de rendez-vous pour ne pas glisser vers la nonchalance et rester acteur de son “présent“ et surtout tourné vers son DEVENIR !

N’étant pas casanier, je lui propose toutes sortes de sorties et notamment les rencontres avec la Solidarité Populaire de Salernes. Il participe ainsi à des actions ciblées des Resto du Coeur de Salernes.
Son séjour a duré environ 4 mois et ce fut une expérience très initiatique, tendue parfois, joyeuse souvent !

Témoignage d’Elise

Fin décembre ; il fait froid, on m’informe que de jeunes demandeurs d’asile dorment dans le parking souterrain de la gare de Toulon ; “Héberges-en un“ me demande-t-on. J’hésite, j’accepte. “Héberges-en deux, ils viennent du même village, un des eux ne parle pas bien français “. J’accepte.

Ils viennent d’un milieu rural de Guinée Conakry, ils parlent le même dialecte ; le plus âgé est musulman.
A la maison il y a de la place, deux toilettes, deux salles de bain ; ce n’est pas une question de place.
Premier geste : je leur donne une clé de la maison. Nous leur expliquons le fonctionnement de la télé, de la chaîne stéréo… ce n’est pas leur préoccupation. Ils veulent savoir le mot de passe de la Wi-Fi, et pour l’un d’eux où se trouve l’Est (pour la prière).

Avoir un lit, en endroit chauffé, manger régulièrement me semblaient les priorités ; eux ont vécu dehors, ont connu les sévices en Lybie, la traversée de la Méditerranée ; ils ont frôlé la mort si souvent que nos préoccupations sont loin des leurs.

On s’aperçoit vite de la difficulté de la cohabitation. Ce sont deux cultures, deux modes de vie qui se confrontent. Je m’inquiète de savoir s’il y a assez de papier- toilette dans les sanitaires : fausse interrogation, ils n’en n’ont pas besoin, comme beaucoup de peuples sur terre, ils utilisent l’eau (ce qui est plus hygiénique et plus écologique!)

Je m’informe de leurs besoins, ils n’ont pas de demande… j’irai néanmoins leur acheter des sous-vêtements, des chaussettes, des affaires de toilette. Notre fonctionnement de “nantis“ occidentaux est pris en défaut par leur vécu.

Mais, au-delà des difficultés de communication, ça se passe bien. Ils sont attentionnés… et ils apprennent vite ; forcément ils n’ont jamais utilisé un lave- vaisselle ou une plaque vitrocéramique ; et ils mettront plus d’une semaine pour utiliser à table un couteau ou une serviette ; eux font des boulettes avec leurs doigts (ce que je n’arrive pas à faire).

Des Resto du cœur ils nous rapportent de la Vache-qui-rit, ils ont remarqué que nous mangions du fromage… Ils proposent de nous faire à manger. Le premier repas qu’ils nous préparent est un vrai moment d’échange et de partage.

Ils demandent à travailler… mais je n’ai rien à leur proposer. Alors ils sont sous leur couette, les écouteurs de leur téléphone aux oreilles. Leur notion du temps, son utilisation, n’est pas la nôtre. S’ils n’ont pas de tâche à effectuer ils ne font rien. Ils ont du mal à respecter un horaire pour les cours de français, les Resto du cœur…

Ils ne restent pas à table pour parler, (de tout, de rien, comme se passent les repas chez nous) ils se dépêchent de manger, puis quittent la table. Ils nous expliqueront que le repas n’est pas le lieu de “palabre“, tout le monde mange dans le même plat et si tu parles le plat se vide sans toi !
Dès qu’ils touchent l’argent de l’Allocation pour Demandeur d’Asile, (ils diront n’avoir jamais vu autant d’argent d’un coup!) ils le dépenseront dans la journée. La notion d’économie leur est inconnue, (l’un d’eux enverra la totalité de ce qu’il a reçu en Guinée).

Ils jettent leurs mégots, leurs papiers par terre (“chez nous on jette par terre“.) Nous leur apprenons le tri sélectif (ils doivent nous prendre pour des extra-terrestre) mais ils apprennent vite et comprennent aussi le pourquoi.

Voilà les difficultés et les limites de l’hébergement chez l’habitant : ils ne peuvent être autonomes ; ils ne connaissent pas les lieux, n’ont pas de revenus, ne maîtrisent pas la langue et sont donc tributaires de notre fonctionnement, sous notre dépendance. Il faut être vigilant pour leur permettre de prendre des initiatives ; on leur a préparé deux vélos, mais visiter les alentours, comme nous le ferions, n’est pas dans leur préoccupation.

Il faut aussi faire attention à ne pas céder à la “démarche éducative“, ce sont des adultes (l’un d’eux est père de famille). Ce ne sont pas nos enfants -ou nos petits-enfants- ; même si la différence d’âge nous inciterait à devenir “protecteurs, enseignants“. Nous devons les considérer comme des pairs ;
L’isolement relatif du Haut-Var où nous vivons n’est pas propice à des contacts ailleurs que chez nous.
Quand ils quitteront la maison, nous n’aurons plus de nouvelles d’eux, ils ont pourtant nos coordonnées. Le plus âgé regagnera Toulon dans un centre d’hébergement au bout d’un mois ; le plus jeune sera par la suite hébergé dans une famille de la région.

Notre hébergement est un passage, un épisode de leur vie, et c’est aussi bien ainsi. Ne pas créer de liens qui resteront temporaires, juste leur permettre d’être à l’abri un moment. Nous leur avons permis de se familiariser avec le français, de comprendre les rouages de la demande d’asile, de soigner leur corps blessés, toutes démarches qui favoriseront leur intégration, s’ils restent en France.
Soyons humbles.

Notre civilisation, notre fonctionnement, nos modes de vie, nos religions, nos croyances, ne sont pas supérieures ou prétendument plus abouties que celles des autres peuples. Seulement différentes. Accepter cette différence, c’est accepter l’autre, tel qu’il est. Lui venir en aide, c’est une démarche volontaire et exigeante.